mardi 9 juin 2015

Duceppe va-t-il enterrer ou ressusciter le Bloc?

Gilles Duceppe, ancien et futur chef du Bloc québécois (crédit photo: La Presse canadienne)
Gilles Duceppe, ancien et futur chef du Bloc québécois (crédit photo: La Presse canadienne)
Après 14 ans à sa tête (1997-2011), Gilles Duceppe avait fait du Bloc québécois son parti. Une telle longévité, couplée d’une poigne de fer et de plusieurs victoires électorales, avaient soudé les deux noms. Le retour annoncé de l’ancien chef exigerait maintenant de les fusionner: le Parti Duceppe.
Quatre ans après la sévère débâcle de 2011, personne n’a réussi à s’installer dans ses souliers. Daniel Paillé et Mario Beaulieu ont échoué. Et devant un parti qui vacille, aucun candidat de gros calibre n’a tenté sa chance dans les deux courses au leadership.
À 67 ans, après une retraite de quatre ans, ce sera donc à Gilles Duceppe de ressusciter ou d’enterrer son parti.Politique
Qu’il soit possible d’annoncer le changement du chef du Bloc québécois par l’entremise du commentateur Jean Lapierre un beau matin à la radio est révélateur de l’état de santé du parti. Aucun débat interne à prévoir. Pas de courants contradictoires. Aucune envie de consulter les membres. La direction s’attend à ce que le retour de Gilles Duceppe soit chaleureusement applaudi, sans questionnement. C’est un parti dirigé depuis des années du haut vers le bas. La base n’est plus vraiment militante, occupée qu’elle est avec son principal parti, le PQ. Les quelques milliers de membres acceptent les choix de la direction sans rechigner.
En pareille circonstance — à quatre mois des élections — dans notre système politique, c’est le caucus des députés qui a le dernier mot sur le choix du chef  (une consultation des membres suivra, mais cela peut avoir lieu plus tard…)
Or, le seul député du Bloc québécois qui se représente aux élections le 19 octobre prochain est Louis Plamondon. Il siège à la Chambre des communes depuis 1984 — il aura 71 ans en juillet. Il est l’un des membres fondateurs du Bloc québécois, en 1990, et un proche de Gilles Duceppe. Bref, le nouveau chef devrait faire l’unanimité au caucus.
Le trait d’humour du jour revient à Alexandre Blanchet, doctorant à l’Université de Montréal en psychologie politique:
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Les forces
Gilles Duceppe a commandé un sondage avant de prendre la décision de revenir en politique, afin de savoir s’il ferait bouger l’aiguille des intentions de vote. Il a été satisfait de constater qu’il était plus populaire que Mario Beaulieu, et que sa présence redonnerait du tonus au Bloc. Certaines sources parlent du simple au double, le Bloc passant de 14 % à 28 %, d’autres parlent même de trois fois.
C’est l’un des avantages de Duceppe: la notoriété. Il n’a pas à se faire connaitre. Les Québécois savent ce qu’il offre. Dans une campagne qui s’annonce comme étant une question de vie ou de mort politique, c’est une épine au pied de moins.
Le nouveau chef du Bloc est aussi plus expérimenté que Beaulieu, avec six élections derrière sa cravate bleue. Il redevient de facto le leader fédéral avec la plus grande expérience de campagne (Harper en sera à sa cinquième campagne, May à sa troisième, alors que Mulcair et Trudeau en seront à leurs premières armes comme chef).
Pour les débats des chefs, c’est un atout certain.
Il connait le Québec par coeur et les subtilités régionales sur le bout de ses doigts. Il possède son contenu et a toujours fait preuve d’intégrité intellectuelle.
De plus, le Bloc a suffisamment d’argent pour faire une dernière vraie campagne électorale. Le parti économise depuis 2011, malgré la fin graduelle des subventions aux partis politiques décrétée par Harper en 2011. Sur ce plan comme en d’autres, ce sera quitte ou double.
Duceppe incarne une politique plus rassembleuse, ayant fait du Bloc québécois un parti à la défense des intérêts du Québec d’abord, souverainiste ensuite, ce qui a séduit certains nationalistes plus fédéralistes au fil des années. Reviendra-t-il à ce créneau? L’arrivée de Pierre Karl Péladeau, très déterminé sur le front de la souveraineté, pourrait compliquer ce type de positionnement mitoyen.
Le nouveau chef du PQ doute ouvertement de la pertinence d’un Bloc québécois mené à la manière Duceppe. Le 18 novembre 2014, PKP déclarait: «Le Bloc ne sert strictement à rien, sauf à justifier le fédéralisme». Il ajoutait: «Le Bloc québécois, j’ai toujours eu un problème avec ça.»
Péladeau n’avait d’ailleurs pas pris la parole lors de l’investiture de Mario Beaulieu, le 24 mai dernier, se contentant d’un rapide tour de piste de 15 minutes dans la salle. Il n’avait pas envie de s’associer au chef vacillant.
Il est toutefois prévisible que PKP fera attention à ses déclarations publiques. Plusieurs péquistes ont fait des appels du pied auprès de Gilles Duceppe depuis trois semaines afin qu’il reprenne du service (notamment son ancien conseiller Stéphane Gobeil, qui dirigeait la course au leadership de Bernard Drainville jusqu’à récemment).
Au PQ, plusieurs stratèges sont arrivés à la conclusion que la fortune du Bloc québécois aura un impact sur la capacité de Péladeau de ramener la souveraineté à l’avant-scène de son discours. Les conseillers péquistes estiment qu’une déconfiture du Bloc pour une deuxième fois consécutive plomberait l’idée que la souveraineté a encore de la traction auprès de l’électorat. À ce compte-là, mieux vaut tenter de sauver les meubles et ramener celui qui a le plus de chance de sauver le Bloc.
Et pourquoi pas le faire avant l’été, en espérant que les derniers sondages avant les vacances montrent un Bloc québécois en remontée à quelques semaines du déclenchement électoral?
Les faiblesses
Les Canadiens veulent du changement. Après bientôt 10 ans de règne conservateur, plusieurs électeurs sont fatigués et se cherchent un champion pour déloger Stephen Harper.
Voici les résultats d’un sondage Abacus fait auprès de 1500 Canadiens, publié le 2 juin dernier:
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J’ai demandé à Abacus de me fournir les résultats par province. Il s’avère que le Québec est la deuxième région qui souhaite le plus un changement de gouvernement à Ottawa. Près de 61 % des électeurs vont en ce sens. Il n’y a qu’en Atlantique (71 %) où les électeurs souhaitent le plus rebrasser les billes.
C’est la carte maitresse du NPD et du PLC. Celle que le Bloc québécois, même dirigé par Gilles Duceppe, ne peut pas jouer.
Lors de la dernière campagne électorale, en 2011, Duceppe plaidait qu’il était le seul à pouvoir empêcher Stephen Harper de former un gouvernement majoritaire. Les électeurs n’ont pas acheté cet argument, préférant donner 59 députés au NPD (plus que le Bloc n’a jamais obtenu). Le NPD est devenu l’opposition officielle, et Harper est devenu majoritaire sans le Québec.
Que ce soit le Bloc ou le NPD qui débarque en force, le résultat n’y a rien changé.
Sauf que Thomas Mulcair peut soutenir qu’en continuant sa progression, en ajoutant des députés ailleurs au pays, il peut offrir ce changement. Un luxe que le Bloc n’a pas.
Sans compter que le retour de Duceppe n’incarne pas du tout le changement.
Les derniers coups de sonde pancanadiens montrent également que la victoire du NPD en Alberta a donné des ailes à la formation dans plusieurs régions du pays, incarnant le changement au détriment du Parti libéral du Canada, qui souffre depuis quelques semaines dans les intentions de vote.
Au Québec, les coups de sonde ont de nouveau propulsé le NPD fortement en tête. Mulcair est revenu à plus de 40 % dans les intentions de vote, ce qui pourrait provoquer une réédition de la vague orange de 2011.
Évidemment, les intentions de vote fluctuent. À quatre mois des élections, rien n’est coulé dans le béton. Sauf que sondage après sondage depuis quatre ans, la majorité des Québécois ne semblent pas regretter leur choix. Mis à part la lune de miel qui a suivi la victoire de Justin Trudeau à la tête de son parti, le NPD est premier dans les intentions de vote ou très près au deuxième rang.
Pour mon texte sur la bataille du Québec, paru en début mai dernier dans L’actualité, j’ai posé deux questions de sondage pour en savoir davantage sur l’ancrage du NPD au Québec après quatre ans. Voici les réponses:
SONDAGE_NPD
Le coup de sonde, effectué en mars, bien avant la victoire du NPD en Alberta, montre un bon taux de satisfaction des électeurs québécois envers le NPD. Dans plusieurs circonscriptions, les députés ont travaillé le terrain afin de s’incruster.
Il y a même 37 % des électeurs qui pensent que Mulcair fera mieux ou aussi bien que la vague orange de Layton. C’est beaucoup, sachant la portée rare et historique du coup de gueule de 2011.
Gilles Duceppe devra trouver des arguments afin de convaincre les électeurs qui ont voté NPD en 2011, et qui demeurent satisfaits du travail de Mulcair ou de ses députés, de revenir au Bloc. Les chiffres montrent que c’est un pari qui ne sera pas facile à relever. Seul le temps nous dira si les citoyens souhaitent donner une autre chance à Gilles Duceppe.
Trudeau et Harper, pas mécontents
Si le décision de Duceppe risque de causer des ennuis au NPD, qui partage plus d’électeurs potentiels avec le Bloc que tout autre parti fédéral au Québec, le retour de l’ancien chef bloquiste risque de faire sourire Stephen Harper et Justin Trudeau.
Harper va tenter de profiter de la division du vote plus nationaliste NPD-Bloc (et de la division sur l’axe centre-gauche) pour remporter quelques circonscriptions au fond bleu, notamment dans la région de Québec et au Centre du Québec. Cela pourrait l’aider à compenser les pertes prévisibles de son parti en Ontario.
Du côté de Justin Trudeau, la polarisation du débat souveraineté-fédéralisme est de nature à aider son parti. Il va se présenter comme le rempart contre un retour en force du mouvement souverainiste dirigé par Péladeau-Duceppe.
Un atout que Trudeau utilisera auprès des fédéralistes québécois — même si bien honnêtement, la plupart considèrent Mulcair comme un authentique fédéraliste duquel ils ne peuvent douter de la sincérité — mais surtout, une ligne d’attaque qui pourrait s’avérer efficace pour déstabiliser Mulcair dans le reste du pays, où la compréhension de la dynamique québécoise est souvent superficielle et où une partie du Canada anglais le soupçonne d’être trop près des nationalistes québécois. Trudeau avait commencé à aiguiser ce message fin 2013 et début 2014 en Ontario, avant de le laisser tomber après la déroute du PQ aux élections de 2014. Il pourra maintenant le ressortir.

La course électorale à trois s’annonçait épicée cet automne. Le retour de Gilles Duceppe ajoute du piment à la sauce et promet une course à quatre dans bien des régions du Québec. On ne va pas s’ennuyer.
* * *

À propos d’Alec Castonguay

Alec Castonguay est chef du bureau politique au magazine L’actualité, en plus de suivre le secteur de la défense. Il est chroniqueur politique tous les midis à l’émission Dutrizac l’après-midi (sur les ondes du 98,5 FM) et analyste politique à l’émission Les coulisses du pouvoir (à ICI Radio-Canada Télé). On peut le suivre sur Twitter : @Alec_Castonguay.
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