vendredi 12 juin 2015

La leçon servie au Sénat vaut pour la Chambre des communes

Photo : Matt Champlin/Moment/Getty Images
Photo : Matt Champlin/Moment/Getty Images
PolitiqueLe Sénat ne sort pas grandi du rapport tant attendu du vérificateur général sur les dépenses des sénateurs. Il n’y a pas que la Chambre haute qui peut toutefois tirer des leçons de l’analyse de l’équipe de Michael Ferguson. La Chambre des communes aussi aurait intérêt à y jeter un coup d’œil.
Parties de pêche, voyages personnels payés à même les fonds publics, réclamations de résidence litigieuses et même une visite chez le tailleur, la liste des dépenses – grandes et petites – qu’une trentaine de sénateurs n’ont pu ou n’ont pas voulu justifier a de quoi faire grincer des dents.
Les révélations du vérificateur général se sont évidemment transformées en munitions pour les détracteurs du Sénat. Le NPD, qui a toujours prôné son abolition, a sauté sur l’occasion pour reprendre ses critiques. Le chef Thomas Mulcair s’est aussitôt servi des maux du Sénat pour dénoncer la désuétude d’une institution où les vieux partis «s’empiffrent au râtelier sans fin des fonds publics».
Il veut plus que jamais obtenir le mandat, lors des prochaines élections, de convaincre les provinces des vertus de l’abolition. Que le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, ait dit, deux fois plutôt qu’une, que l’abolition irait à l’encontre des intérêts du Québec, n’a pas refroidi ses ardeurs. M. Mulcair a toutefois été incapable de dire comment il surmonterait cet obstacle québécois.
Du côté des conservateurs, on a jeté l’éponge. Après s’être fait rappeler qu’il ne pouvait réformer le Sénat de façon unilatérale, le premier ministre Stephen Harper a opté pour la technique de l’attrition. Il ne nomme plus de sénateurs et tant pis si 20 sièges sont vacants et si cela nuit au fonctionnement de la Chambre haute.
La réforme ou l’abolition du Sénat n’est pas pour demain, l’accord des provinces étant nécessaire. Entre temps, un grand ménage doit y être fait pour mettre fin à ses méthodes administratives d’un autre âge qui ouvrent la porte aux abus et à une culture du «tout-m’est-dû».
Le rapport du vérificateur général est éloquent à cet égard. Il écrit qu’il existe «un manque généralisé de transparence et d’imputabilité en matière de dépenses des sénateurs, tant dans la surveillance exercée à l’échelle de l’institution que dans les pratiques de certains sénateurs». Selon lui, le statu quo est inacceptable, il faut un changement de culture, plus de transparence, des mécanismes de surveillance, de reddition de comptes et ainsi de suite. Ses 22 recommandations sont toutes de cette eau.
Sa principale recommandation est d’ailleurs de créer un organe de surveillance composé, en grande majorité, de personnes ne siégeant pas au Sénat. Même le président de cette instance ne serait pas sénateur.
Cet organe indépendant participerait à l’élaboration et à l’interprétation des règles, pourrait examiner les dépenses de chaque sénateur et déterminer si elles sont conformes aux règles, et aurait le pouvoir exclusif d’embaucher l’auditeur interne. Actuellement, les sénateurs gèrent leurs propres affaires, écrivent leurs propres règles et décident comment et quand les appliquer. Un non sens.
Une Chambre opaque
Ce n’est guère mieux aux Communes. Les députés sont soumis à davantage de contrôles financiers dignes de ce nom, mais ce sont des députés qui, au sein du Bureau de régie interne (BRI), débattent à huis clos des règles et qui tranchent les disputent au sujet des dépenses des partis et des députés.
Cela n’a pas échappé au vérificateur général Michael Ferguson. Interrogé sur le sujet, il a noté qu’«il y a des choses [dans ce rapport] auxquelles la Chambre des communes devrait porter attention. [Les députés] devraient se demander s’ils font preuves de suffisamment de transparence, si les décisions au sujet des dépenses sont prises avec indépendance et objectivité».
Les députés, a-t-il poursuivi, n’ont pas besoin d’attendre une vérification de son bureau pour procéder à des changements et tirer de son rapport les leçons qui s’imposent. Surtout qu’ils pourraient attendre longtemps.
M. Ferguson a indiqué qu’il n’avait reçu aucune demande de la Chambre des communes pour effectuer une vérification similaire à celle qu’il vient de faire au Sénat. Le NPD et le PLC ont dit en souhaiter une, les conservateurs ont d’abord rejeté l’idée pour enfin se montrer ouvert à l’idée.
La précision est venue du bureau du premier ministre cette semaine. «Nous appuyons le fait que le vérificateur général discute avec le Bureau de régie interne pour qu’il détermine avec lui une façon de faire», a-t-on confié à la Presse Canadienne.
Loupe partisane
La surveillance des dépenses aux Communes est devenu un enjeu partisan depuis quelques années au sein même du BRI et c’est le NPD qui en fait actuellement les frais.
Fin 2013 début 2014, les conservateurs ont commencé à s’intéresser de près aux bureaux satellites de l’équipe parlementaire du NPD. Les libéraux ont rapidement fait front commun avec le gouvernement pour en contester l’existence et accuser les employés de ces bureaux de faire du travail partisan. Selon eux, le NPD contrevenait aux règles parlementaires en plus de ne pas avoir informé la Chambre du fait que ces employés travaillaient à Montréal.
Les faits sont les suivants. Après l’élection de 58 députés québécois inexpérimentés en 2011, Jack Layton, secondé par M. Mulcair (qui était alors son lieutenant québécois), a cherché une façon d’épauler les nouveaux élus avec une équipe de soutien chevronnée dédiée à la mise sur pied des bureaux de circonscription, aux relations avec leurs électeurs, aux communications, et ainsi de suite.
Pour payer cette équipe, les députés ont été invités à regrouper leurs ressources en pigeant dans le budget qui leur est accordé pour l’embauche de personnel, ce qui est permis.
Le NPD voulait toutefois que ce service de soutien soit près des députés, d’où le déploiement de personnel parlementaire à Montréal et à Québec. Mais il fallait payer un loyer, ce que les règles parlementaires ne prévoient pas. Le parti s’en est donc chargé et, à Montréal, leur a réservé un espace à l’intérieur même de ses locaux.
Thomas Mulcair a toujours soutenu que son parti n’avait enfreint aucune règle en vigueur à l’époque. Les employés de ces bureaux avaient pour tâche de seconder les députés dans leur travail parlementaire et n’ont rien fait d’autre, dit-il. Jamais ils n’ont effectué de travail partisan.
À preuve, répète-t-il encore, les employés du parti et les employés parlementaires appartiennent à des syndicats différents avec des définitions de tâches différentes inscrites dans leurs conventions collectives respectives.
Mais comme je le disais à l’époque, le NPD a joué avec le feu en se montrant trop gourmand. Cela faisait presque trois ans qu’il avait déployé sans problème ces petites équipes au Québec. Les libéraux rechignaient un peu, y voyant une concurrence déloyale, mais tout a dérapé quand le bureau de l’opposition officielle a affiché un poste pour un agent de liaison parlementaire en Saskatchewan, où le parti n’a pas un seul député, mais où le PC détient tous les sièges sauf un.
Depuis, c’est la bagarre. Il est toutefois difficile de se faire une idée claire puisque le détail des arguments, preuves et témoignages présentés au BRI demeure secret. Tout ce à quoi on a droit sont des résumés des délibérations et des décisions.
On sait toutefois que le règlement a été précisé depuis et que les employés en question travaillent maintenant de chez eux ou au bureau de circonscription de M. Mulcair.
Selon le porte-parole conservateur du BRI, John Duncan, plus d’une soixantaine de députés néo-démocrates devront malgré tout, à partir du 1er juillet, rembourser des sommes variées totalisant 2,75 millions $. S’ils ne s’exécutent pas, les fonds seront retenus au moment de leurs demandes de remboursement de frais ou sur leur indemnité de départ et leur pension, s’ils ne se représentent pas ou sont défaits en octobre.
Le NPD conteste cet ordre. En fait, il résiste depuis le début et s’est adressé aux tribunaux l’automne dernier, mais l’affaire est actuellement au point mort.
Le NPD a aussi vu ses envois postaux remis en question alors que ceux des autres partis ont échappé à l’examen.
Mécanique à revoir
Sans mécanisme indépendant, comme celui suggéré par le vérificateur général, ce n’est pas seulement le Sénat qui a des problèmes sérieux de transparence et d’impartialité, mais aussi la Chambre.
Le problème est d’ailleurs connu depuis longtemps. Le NPD a maintes fois demandé à ce que le BRI tienne ses réunions en public. Il a aussi présenté en 2013 une motion pour qu’un comité étudie la mise sur pied d’un organisme indépendant chargé, à la place du BRI, de surveiller les dépenses de la Chambre. L’étude en question a eu lieu mais la majorité conservatrice n’a recommandé que ce qui suit dans son rapport:
«Que le Bureau de régie interne continue d’examiner comment il pourrait améliorer le Rapport de dépenses des députés en y intégrant un plus grand nombre d’informations ;
Que le Bureau de régie interne invite plus souvent le vérificateur général à effectuer des vérifications ;
Que le Bureau de régie interne, en collaboration avec le vérificateur général, élabore des lignes directrices publiques portant sur la vérification des dépenses de la Chambre des communes ;
Que le Bureau de régie interne continue de rendre publics ses procès-verbaux en temps opportun.»
Le NPD était évidemment insatisfait. «Le NPD rejette fermement le statu quo de l’autorégulation des députés et continuera de se battre pour plus de transparence et une meilleure reddition de comptes», écrivait-il en conclusion de son opinion dissidente.
Les bloquistes, les verts et les indépendants étaient aussi dissidents, alors que les libéraux ont émis une opinion complémentaire.

Aucun commentaire: