vendredi 12 juin 2015

Des budgets antijeunes ?

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Photo : Sean Kilpatrick/La Presse Canadienne
Le gouvernement fédéral a présenté son dernier budget comme celui des « réductions d’impôt pour les familles ». Le gouvernement québécois s’est quant à lui décrit comme « l’allié de la jeunesse » en défendant son plus récent budget.
Or, les chiffres montrent une tout autre réalité, dit Paul Kershaw, professeur de sciences politiques à l’Université de la Colombie-Britannique.
Ottawa et Québec ont plutôt sabré les dépenses destinées aux plus jeunes pour financer des programmes qui profitent aux aînés, dit-il. Kershaw a décelé la même tendance dans les budgets de l’Ontario, de l’Alberta et de ceux de toutes les autres provinces, qu’il a scrutés à la loupe (à l’exception de celui de l’Île-du-Prince-Édouard). « C’est un dur coup pour l’équité entre les générations », dit ce chercheur de 40 ans, fondateur de Generation Squeeze, un groupe de réflexion sur cette question.
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Paul Kershaw
Vous estimez que les derniers budgets de Québec et d’Ottawa sont «injustes» envers les jeunes. N’est-il pas normal que les gouvernements dépensent davantage pour les aînés?
Oui, bien sûr. On sait qu’en vieillissant tout le monde est plus à risque de tomber malade et donc de recourir davantage au système de santé. Selon nos études, les gouvernements fédéral et provinciaux dépensent en moyenne 33 000 dollars par an par personne âgée de 65 ans et plus, contre moins de 12 000 par personne de 45 ans et moins. On ne s’attend pas à ce que l’État réduise ses dépenses pour les aînés au niveau de celles des jeunes. On ne veut pas non plus que les gens travaillent jusqu’à leur dernier souffle ! Il y aura toujours un écart, et c’est normal. Ce qu’on remet en question, c’est l’ampleur de cet écart, qui va en grandissant.
Pourquoi le gouvernement peut-il dénicher des sommes substantielles pour les aînés tout en soutenant que les coffres sont vides quand il s’agit de financer des programmes touchant les jeunes?
Le dernier budget du Québec est très évocateur. Le gouvernement a trouvé de grosses sommes pour financer le système de santé pour la population vieillissante. Et il l’a fait en partie en augmentant de façon importante les frais de garderie, ce qui représente une ponction de près de 200 millions de dollars dans les poches des jeunes parents. Québec a dit qu’il n’avait pas les moyens de maintenir le tarif à 7,30 $ par jour. Mais il avait pourtant les moyens d’offrir de nouveaux crédits d’impôt aux aînés, dont un pour aider les propriétaires à payer leurs taxes foncières. Il ne s’agit pas d’une mesure très coûteuse, mais elle est très symbolique.
Pourquoi?
Cette mesure fiscale laisse entendre que la hausse du marché immobilier nuit aux propriétaires, parce que les taxes foncières augmentent. Mais en vérité, si votre maison prend de la valeur, ça reste une excellente nouvelle pour les gens qui ont acheté leur maison il y a des décennies. La hausse fulgurante du marché, ça pose d’abord et avant tout problème aux gens qui veulent accéder à la propriété ! Et ça touche de façon disproportionnée les jeunes.
Le prix des maisons au Québec a doublé, en dollars constants [en tenant compte de l’inflation], depuis 1976. Selon nos chiffres, les jeunes ont vu leur revenu moyen chuter pendant cette période. Résultat : beaucoup d’entre eux devront se saigner s’ils veulent acheter une maison. Ces mêmes jeunes, qui doivent étudier de plus en plus longtemps pour espérer trouver un emploi, devront aussi subir les conséquences des changements climatiques et de la détérioration de l’environnement. Mais nos gouvernements tardent à s’occuper de ces dossiers.
Le taux de participation des jeunes aux élections est anémique. Pourquoi les partis politiques se montreraient-ils sensibles à leur cause s’ils ne se déplacent pas pour voter?
C’est le problème typique de « l’œuf ou la poule ». Comme professeur, j’entends souvent les jeunes se plaindre que les partis politiques ne s’intéressent pas à eux. Ça m’a poussé à analyser les programmes des partis. Ma conclusion, c’est que les jeunes ont en bonne partie raison. Mais comment faire changer les choses ? À mon avis, on ne peut plus attendre les élections pour agir. Voilà pourquoi on veut transformer notre groupe, Generation Squeeze, en lobby des jeunes. On aimerait faire contrepoids au CARP [Canadian Association of Retired Persons], un puissant lobby installé à Toronto qui regroupe près de 400 000 aînés au pays. Ses dirigeants n’attendent pas les élections avant d’influencer les programmes des partis politiques. Si on parvient à rassembler une masse critique de jeunes, nos idées pourraient aussi se refléter dans les programmes des partis. Et si c’était le cas, ça pousserait les jeunes à voter davantage.
Ne craignez-vous pas de nourrir une guerre des générations avec votre groupe?
Pas du tout. Nos grands programmes de santé et de retraite universels ont été mis sur pied à une époque où le tiers des aînés vivaient sous le seuil de la pauvreté. Beaucoup risquaient de déclarer faillite s’ils tombaient malades et devaient être hospitalisés.
Depuis, le taux de pauvreté chez les aînés a chuté, pour atteindre 5 %, le taux le plus bas parmi tous les groupes d’âge. C’est un accomplissement remarquable, dont on devrait être fier.
C’est mon souhait le plus cher que ma mère de 71 ans et ma grand-mère de 99 ans puissent vivre en bonne santé et dans le confort le plus longtemps possible. Mais elles-mêmes tiennent à payer leur juste part. Elles ne voudraient pas que leurs enfants et leurs petits-enfants écopent de la facture plus tard.

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